CONTRE LE PROJET IMMOBILIER DOULON-GOHARDS
Nous, scientifiques, souhaitons alerter sur la poursuite de l’artificialisation des sols à l’heure où les conséquences des destructions écologiques sont largement palpables et, pour beaucoup, irréversibles.
Le choix de bétonner des terres agricoles et naturelles concerne tous les territoires qui, souhaitant se développer économiquement ou construire de nouveaux logements (67% des surfaces artificialisées – étude Cerema), sacrifient ces espaces indispensables plutôt que de travailler à rénover, transformer et adapter les espaces urbains existants. Alors que l’équivalent d’un département disparaît sous le béton tous les dix ans, nous nous inquiétons que la volonté politique vacille : l’objectif de zéro artificialisation nette est remis en cause, les recours environnementaux sont considérés comme un frein et les métropoles continuent de bétonner massivement.
Nous attirons aujourd’hui l’attention sur un projet d’envergure, particulièrement emblématique de ce choix de la facilité, pour lequel aucune alternative n’a été étudiée par les pouvoirs publics, dans une région particulièrement consommatrice d’espaces naturels.
Le projet de la ZAC (Zone d’Aménagement Concerté) Doulon-Gohards, au nord-est de Nantes, est un projet d’implantation immobilière de plusieurs milliers de logements sur une zone de 50 hectares de nature : zones de prairies et de friches, bosquets et boisements, ruisseaux et berges, autant d’habitats qui seront engloutis dans un projet qui se veut « vert » et « écologique ».
Si ce projet voit le jour, les habitants du quartier Vieux-Doulon, verront, eux, des immeubles à la place des arbres.
Certes, tout ne sera pas construit, et une partie des espaces de nature identifiés comme d’intérêt majeur seront conservés, mais déconnectés les uns des autres, leur faune ainsi soumise aux dérangements incessants d’une zone d’habitation majeure (2 700 logements prévus), sans compter les travaux, et dans l’incapacité ou presque de se déplacer d’une zone à une autre.
Il se trouve que cet espace représente une des dernières zones de nature de Nantes. Anciennes terres maraîchères laissées en friche depuis 1982, cela a permis l’installation d’une faune et d’une flore importante, dont certaines espèces sont protégées car en danger, mais aussi d’écosystèmes remarquables, tels que les zones humides.
Nous, scientifiques, considérons que ce projet va à l’encontre de toute considération écologique et sociale, compte tenu du contexte actuel de dérèglement climatique et de dépassement de chacune des limites planétaires. Le dernier rapport du GIEC met notamment l’accent sur l’importance des services rendus par les espaces naturels non ou peu anthropisés (IPCC 6th report, section C.3.6, 2022). Il est urgent et vital d’aligner les politiques urbaines aux recommandations écologiques dont le seul but est de parvenir à conserver une planète viable, vivable et désirable pour l’ensemble des êtres vivants qui la peuplent.
L’artificialisation des milieux, en plus d’imperméabiliser les sols, est responsable de la perte d’habitats naturels, de la disparition de nombreuses espèces végétales et animales, et accroît le risque d’inondation. En effet, les zones naturelles et particulièrement les zones humides, sont cruciales pour l’infiltration et le ruissellement des eaux pluviales. Bétonner signifie empêcher les eaux de surface de s’infiltrer dans le sol où elles participent à la réserve utile tant pour les plantes que pour les animaux, mais aussi pour la consommation humaine. À plus large échelle, cela favorise la pollution des eaux de surface, par lessivage des toxiques présents sur les surfaces imperméabilisées, l’érosion des terres par le ruissellement et des crues plus intenses (IPCC 6th report, 2023 ; rapport du GIEC Pays-de-la-Loire, 2022).
Enfin, c’est aussi synonyme d’une fragmentation accrue des milieux naturels. Outre la perte d’habitat pour la faune et la flore directement engendrée, ce processus a pour conséquences l’isolement des populations, l’effondrement de la diversité génétique et des taux de reproduction, et forme des obstacles à la migration des populations en détruisant les continuités écologiques.
Parmi les milieux naturels menacés par le projet de construction de la ZAC Doulon-Gohards, se trouvent notamment des zones humides. Ces milieux, souvent considérés à tort comme insalubres, pauvres, inesthétiques, ou inutiles, sont pourtant des milieux fragiles et essentiels.
Leur altération met en péril leurs nombreux services écologiques tels que la purification de l’eau, la régulation des débits ; ce sont aussi des puits de carbone et de biodiversité importants, et elles permettent également de limiter les phénomènes d’îlots de chaleur, comme souligné dans le dernier rapport du GIEC (IPCC 6th, section A.3.2, 2021).
En imperméabilisant la zone, l’eau de pluie ne pourra plus s’infiltrer en profondeur et ainsi être stockée pour les période de sécheresse, que nous savons de plus en plus nombreuses et problématiques dans la région (rapport du GIEC Pays-de-la-Loire, 2022).
En retirant la végétation dont les racines purifient l’eau et le sol, les métaux lourds et polluants en tout genre ne seront plus éliminés, aggravant le taux de pollution des réserves d’eau, déjà très inquiétant aujourd’hui (SDES, OFB, 2022).
En retirant les fleurs, de nombreuses espèces animales, dont les insectes, vont disparaître. Si on perd les insectes, on perd non seulement des alliés précieux de l’agriculture et des écosystèmes, les pollinisateurs (30% d’espèces d’insectes sont actuellement en déclin (IPBES, 2016 ; IUCN, 2023)), mais on perd aussi tout un pan de l’écosystème, dont dépendent nombre d’espèces par la suite (mammifères, oiseaux etc). À titre d’exemple, 24%, soit un quart de la population des oiseaux communs spécialistes ont disparu de métropole entre 1989 et 2021, tout comme 43% des chauve-souris entre 2006 et 2021 (CESCO – PatriNat (OFB-CNRS-MNHN), 2022, 2023).
En perdant les Gohards, on perd un poumon de la ville de Nantes.
À l’échelle mondiale, les milieux naturels humides ont déjà perdu 64% de leur surface depuis 1900 (SDES/OFB, Évaluation nationale des sites humides emblématiques 2010-2020). À l’heure actuelle, la région Pays-de-la-Loire s’inscrit dans cette dynamique néfaste, se classant parmi les régions artificialisant le plus leur territoire, avec une superficie de terres artificialisées ayant presque doublé entre 1982 et 2018. Avec 11.2% des terres artificalisées en 2018, ce taux est largement supérieur à la moyenne nationale qui est de 9% (rapport du GIEC Pays-de-la-Loire, 2022). Nantes peut, ou du moins pourrait, se démarquer et participer à freiner cette tendance, en s’engageant dans des projets favorisant un usage des terres raisonné, laissant la place à la biodiversité, et conservant ainsi un des derniers « poumons verts ».
Nous ne résoudrons pas la crise du logement en sacrifiant la capacité de nos territoires à se nourrir, à être alimentés en eau, à limiter les effets des inondations. Il est temps que les pouvoirs publics prennent des mesures à la hauteur de la crise que nous vivons. Sur la base d’études scientifiques, nous appelons donc à stopper ce projet immobilier du quartier Doulon-Gohards, qui va à l’encontre d’une réflexion écologique urbaine sensée dans le contexte actuel très inquiétant de dérèglement climatique et de pénurie d’eau.
Tribune lancée par Scientifiques en Rébellion Nantes et soutenue par Scientifiques en Rébellion France
Signataires :
Colette | ANNÉ | Chercheuse en mathématiques – HDR |
Coline | ARIAGNO | Post-doctorante en sciences de la Terre |
Christian | AUSONI | Professeur des universités, Institut Galilée |
Julia | AUTIN | Maîtresse de conférence en géologie |
Pascal | BACH | Chercheur en écologie |
Jean Baptiste | BAHERS | Chercheur CNRS en géographie |
Sébastien | BAROT | Directeur de Recherches écologie des sols et des écosystèmes |
Jeannin | BASTIEN | Ecologue naturaliste – ornithologue |
Laurent | BEGUE SHANKLAND | Professeur des universités et directeur de la Maison des Sciences de l’Homme Alpes |
Massimiliano | BELTRAMO | Directeur de recherche INRAE |
Jean-Marc | BENGUIGUI | Enseignant ingénieur Centrale Nantes |
Nicolas | BEZ | Directeur de recherche en écologie |
Nicolas | BIERNE | Directeur de recherche CNRS en biologie évolutive |
Guillaume | BLANC | Enseignant-chercheur en histoire environnementale |
Philippe | BORSA | Directeur de recherche, Institut de Recherche pour le Développement |
Emilie | BOUGEARD | Ecologue, professeur de gestion et conservation des espaces naturels |
Dominique | BOURG | Professeur honoraire de l’université de Lausanne en sciences de l’environnement |
Cécile | BRUN | Enseignant-chercheur en biologie |
Florence | BRUNOIS | Ethnologue, directrice du Laboratoire d’anthropologie sociale |
Rémi | CARLES | Directeur de recherche au CNRS |
Julian | CARREY | Enseignant-chercheur en physique |
Stéphanie | CHARLAT | Responsable d’études Environnement Agronomie Eau |
Mathieu | CHASSÉ | Maître de conférences géosciences |
Alexandre | COCHE | Post-doctorant en hydrogéologie, Université de Rennes |
Diane | COLAS DES FRANCS | Médecin gériatre |
Jean-Paul | DELER | Géographe, retraité du CNRS |
Sophie | DELERUE-RICARD | Docteure en biologie marine et coordinatrice environnementale |
Paul | DERKENNE | Doctorant INRAE |
François | DULAC | Chercheur-ingénieur CEA, Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement |
Gianni | ENSELME | Naturaliste (Ligue pour la Protection des Oiseaux) |
Richard | FAUCHERON | Ingénieur de recherche en calcul scientifique, imagerie satellite pour le suivi de variables climatiques essentielles |
Lisa | FAVARETTO | Ingénieure génie urbain et hydrologie |
Armance | FLICHY | Étudiante ingenieur urbaniste |
Océane | FOIX | Post-doctorante en sismologie, ISTerre, Grenoble |
Irénée | FRÉROT | Chercheur en chimie au CNRS, physicien |
Gilles | FRISON | Chercheur en chimie |
Mélanie | GAGLIO | Ingénieure R&D en sciences alimentaires |
Hubert | GALLÉE | Directeur de Recherches CNRS en Sciences du Climat |
Salomée | GELOT | Chercheuse en aménagement et écologie, animatrice de territoire |
Claudia | GÉRARD | Enseignante-Chercheuse écosystème et biodiversité |
Sébastien | GIL | Hydrogéologue |
Marine | GILLOT | Ingénieure en environnement |
Guillaume | GOUGET | Chercheur en chimie, CNRS |
Heloise | GOULESQUE | Docteure en pharmacie |
Lionel | GOURDEAU | Chercheur océanographe |
Lenaig | GUÉGUEN-ABHERVÉ | Ingénieure en sciences technologiques et alimentaires |
Tristan | GUILLEBOT DE NERVILLE | Écologue naturaliste à l’association Bretagne Vivante |
Tiphaine | GUILLET | Doctorante à l’École nationale supérieure des Mines de Paris |
Juliette | HALGAND | Ingénieur R&D, diplômée en Biologie |
Annie | HUGHES | Enseignant chercheur – Institut Max Planck |
Bertrand | HUNEAU | Enseignant-Chercheur en sciences des matériaux |
Bertrand | ISIDOR | Généticien |
Julien | JARDIN | Ingénieur en recherche agroalimentaire |
James | JEAN BAPTISTE | Ornithologue, chargé d’études |
Laurence | JOUNIAUX | Directrice de recherches au CNRS en géophysique |
Bernard | KALAORA | Enseignant chercheur sociologue de l’environnement |
Valerie | LAGARRIGUE | Médecin |
Ariane | LAMBERT-MOGILIANSKY | Professeure à l’école d’Economie de Paris |
Martin | LAPORTE | Ingénieur Logiciel Embarqué Médical |
Jeanne | LAVIALLE | Ingénieur agronome |
Konan | LE BRETON | Formateur naturaliste |
François | LE CALLONNEC | Docteur en Chimie organique |
Julien | LE ROUX | Maitre de conférences en chimie de l’eau |
Thierry | LEBEAU | Professeur Nantes Université en géosciences |
Christine | LETERRIER | Directrice de recherche, INRAE |
Maxime | LEUCHTMANN | Responsable de projets naturalistes |
Didier | LEVY | Docteur en Biologie – Professeur |
Adeline | LOYAU | Biologiste, chercheuse associée au laboratoire d’Écologie Fonctionnelle et Environnement de Toulouse |
Clément | MADEC | Chargé d’étude écologue |
Aurélie | MARCHAUDON | Directrice de Recherche CNRS, experte sur l’environnement spatial de la Terre |
Isabelle | MAUCLAIRE | Professeur technique en horticulture |
Benjamin | MAUROY | Directeur de recherche CNRS, mathématiques appliquées |
Manuel | MERCIER | Chercheur à l’Inserm |
Elodie | MERLOT | Chercheuse agro-écologie INRAE |
Elisabeth | MICHEL | Chercheuse, domaine climat/paléoclimat |
Gaëtan | MINEAU | Chef de projet Écologue, expert faune |
Maurine | MONTAGNAT | Chercheuse au CNRS climatologie |
Claire | NOUVIAN | Fondatrice de l’association BLOOM |
Charles | OBLED | Professeur Honoraire sur les ressources en eau |
Laurent | PAGANI | Astrophysicien au CNRS et à l’Observatoire de Paris |
Pierre-Emmanuel | PETIT | Ingénieur de recherche CNRS à Nantes Université |
Thomas | PONCELAS | Ingénieur paysagiste |
Hugo | RAGUET | Maître de conférences INSA Centre-Val de Loire |
Nicolas | REYNOUD | Docteur en Physiologie Végétale, anciennement rattaché à l’INRAE de Nantes |
Matthieu | ROMAGNY | Professeur en mathématiques |
Josyane | RONCHAIL | Chercheuse en climatologie |
Adrien | SALOMÉ | Ingénieur Consultant Energie Climat |
Barbara | SCHAPIRA | Mathématicienne HDR |
Roland | SÉFÉRIAN | Climatologue |
Clément | SÉNÉCHAL | Journaliste climat et militant écologiste |
Théo | SERRU | Chercheur au Laboratoire des Sciences du Numérique de Nantes |
Jean-Charles | SICARD | Ingénieur écologue à la retraite |
Luc | SOURET | Naturaliste retraité – LPO Paca |
Maximilien | TESSIER | Ingénieur génie civil et urbanisme |
Lyse | TEXIER | Naturaliste |
Guillaume | THIRION | Etudiant en gestion et protection de la nature |
Martin | TURBET | Chercheur CNRS en science du climat |
François | VARENNE | Chargé de mission naturaliste, coordinateur |
Marie | VERSTRAETE | Médecin pédiatre |
Laëtitia | VIBERT | Écologue-ornithologue |
Claude | VIBERT | Géologue, ancien directeur de la planification Lafarge |
Didier | VIBERT | Ingénieur de recherche CNRS |
Marie | VINCENT | Docteur en médecine |
Didier | VOISIN | Professeur en sciences de l’environnement |
Frederic | YERMIA | Enseignant-Chercheur en Physique subatomique |
Ewa | ZLOTEK-ZLOTKIEWICZ | Chercheuse, intermédiatrice sciences-sociétés |